pdf Perte de la source radioactive d'une jauge dans une usine de textile (8.70 MB)
Circonstances
L’incident s’est produit dans une usine d’industrie textile lors du démontage d’une cardeuse (machine à peigner les fibres textiles) équipée d’une jauge utilisée pour contrôler le bon déroulement du procédé. La jauge est constituée de deux parties, une source et un détecteur, situées de part et d’autre de la couche de fibres à peigner.
Au cours d’une inspection de l’état d’avancement du démontage de la cardeuse (hors service depuis 6 mois), Monsieur A, ingénieur principal de l’entreprise, se rend compte que la partie de la cardeuse sur laquelle était placée une source de 11,1 GBq d’américium-241 a été démontée et envoyée à un ferrailleur. Il interroge alors les agents présents et demande si la source a été récupérée. Monsieur B, responsable de Monsieur A, lui apprend alors qu’il a lui-même retirée la source de la cardeuse, au préalable à son démontage, et l’a remisée. Monsieur A demande à voir la source au magasin et constate que le détecteur a été déposé en lieu et place de la source.
Les discussions révèlent alors que Monsieur B, qui n’avait jamais été formé à l’utilisation de la jauge, pensait que la source était contenue dans le détecteur. Lors de son intervention, il a donc enlevé le détecteur et l’a déposé en magasin, laissant la source et son conteneur attachés à la cardeuse.
Au moment de la découverte de l’incident, il est impossible de déterminer si la source a été envoyée au ferrailleur, a été perdue au moment du démontage ou lors des transports.
Dans ces conditions, la direction de l’usine contacte l’autorité de radioprotection et déclare la perte de la source. Elle fait également appel à une Personne Compétente en Radioprotection pour qu’elle détermine les circonstances de la perte de la source et revoit les dispositions de radioprotection à mettre en place pour gérer les deux autres sources encore présentes sur le site. De nombreuses mesures sont alors réalisées pour identifier les « traces » de la source mais sans succès (le temps écoulé entre la perte de la source et la découverte de l’incident – plusieurs mois – explique certainement cet échec). Il est conclu que la source a dû rester attachée aux composants de la cardeuse lorsque ceux-ci ont été envoyés au ferrailleur. Elle a donc certainement été compactée avec d’autres métaux et envoyée dans une usine de refonte.
Il reste à noter que le ferrailleur disposait d’un portique pour la détection de sources radioactives orphelines mais que celui-ci ne s’est pas déclenché. Ceci peut facilement se comprendre si la source est restée dans son conteneur : celui-ci offrait en effet une très bonne protection et seuls des rayonnements de faible intensité ont pu être émis, certainement absorbés par d’autres déchets présents dans le chargement.
Conséquences radiologiques
Etant donné que la source n’a pas été retrouvée, seules quelques hypothèses peuvent être faites pour estimer les conséquences radiologiques de cet incident. Considérant les caractéristiques de l’américium-241 (émetteur a, émetteur g de faible énergie – 59 keV), le risque de contamination est le principal risque à prendre en compte.
Si la source a été refondue avec d’autres métaux de récupération, les employés de l’usine de refonte ont pu être contaminés par des poussières d’américium-241. De même, les personnes ayant travaillé le métal récupéré ainsi que ses utilisateurs ultimes ont pu aussi être exposées.
Leçons
L’enquête a montré que plusieurs facteurs intervenaient dans la perte de la source et la découverte tardive de cet incident :
- La Personne Compétente en Radioprotection nommée par l’usine de textile avait pris sa retraite quelques mois avant le démontage de la cardeuse et n’avait pas été remplacée. Depuis, le contrôle des sources n’était plus réalisé de façon satisfaisante et les registres des sources n’étaient plus à jour. Ainsi, au cours des quelques mois pendant lesquels la source était « soi-disant » stockée, aucun contrôle n’avait été réalisé. Or, il aurait permis de détecter l’absence de sources.
- Un salarié sans formation à la radioprotection (ici Monsieur B) a été chargé d’une opération pour laquelle il n’était pas compétent, et a commis une erreur.
- Le responsable du démontage de la cardeuse n’avait aucune compréhension des obligations liées au travail au contact de sources radioactives. Aucune évaluation de risques liés aux différents postes de travail n’avait été effectuée.
En conséquence, cet incident permet de souligner les points suivants :
- L’importance d’entretenir la mémoire « radioprotection » des installations : il importe de garantir le maintien des compétences radioprotection et d’assurer que le départ en retraite des PCR est anticipé.
- La problématique de traçabilité des sources : il est rappelé qu’au titre de l’article R.4456-1 du Code du Travail, toute entreprise qui utilise des sources radioactives doit nommer une PCR chargée de leur surveillance. « L’employeur désigne au moins une personne compétente en radioprotection lorsque la présence, la manipulation, l'utilisation ou le stockage d'une source radioactive scellée ou non scellée ou d'un générateur électrique de rayonnements ionisants entraîne un risque d'exposition pour les travailleurs de l'établissement ainsi que pour ceux des entreprises extérieures ou les travailleurs non salariés intervenant dans cet établissement. » Cette surveillance inclut la vérification régulière de la localisation des sources et la tenue de registres écrits. La localisation des sources doit être indiquée clairement sur les machines, à l’aide de pictogrammes (trisecteur). Enfin, en cas de cessation d’activité, une demande d’annulation doit être réalisée auprès de l’autorité de radioprotection (voir les articles du Code de la santé publique ci-dessous).
- L’obligation de former les salariés aux risques associés à leur poste de travail : les salariés doivent être informés par les responsables de l’entreprise des risques liés aux activités réalisées, y compris des éventuels risques radiologiques et des comportements appropriés à adopter. Dans le cas étudié, il aurait été bienvenu que les employés aient à disposition un détecteur de rayonnements adapté.
CSP – Art. R.1333-41 : « La cessation d'une activité nucléaire soumise à déclaration ou à autorisation (…) est portée à la connaissance de l'Autorité de sûreté nucléaire (…). L'Autorité de sûreté nucléaire notifie au titulaire de l'autorisation ou au déclarant les mesures à mettre en œuvre, qui peuvent notamment porter sur la reprise des sources radioactives scellées, la vérification de l'absence de contamination radioactive, l'élimination des éventuels déchets radioactifs (…). »
CSP – Art. R.1333-42 : « Le titulaire de l'autorisation ou le déclarant est dégagé de ses obligations lorsqu'il apporte la preuve que les radionucléides et produits ou dispositifs en contenant ont été éliminés des locaux et qu'il a rempli l'ensemble des obligations qui lui ont été notifiées en application de l'article R. 1333-41. L'Autorité de sûreté nucléaire, selon le cas, lui notifie la décision mettant fin à l'autorisation ou lui délivre une attestation le dégageant de ses obligations. »
CSP – Art. R.1333-50 : « Tout détenteur de radionucléides sous forme de sources radioactives, de produits ou dispositifs en contenant, doit être en mesure de justifier en permanence de l'origine et de la destination des radionucléides présents dans son établissement à quelque titre que ce soit.(…)Un relevé trimestriel des cessions et acquisitions doit être adressé par le fournisseur à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (…).Aux fins de mise à jour de l'inventaire prévu à l'article L. 1333-9, une copie du récépissé des déclarations et des autorisations (…) est transmise à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire par l'autorité qui a délivré l'autorisation ou reçu la déclaration.
Code du Travail – Art. R4512-6 : «(…) Les chefs des entreprises utilisatrice et extérieures procèdent en commun à une analyse des risques pouvant résulter de l'interférence entre les activités, installations et matériels. Lorsque ces risques existent, les employeurs arrêtent d'un commun accord, avant le début des travaux, un plan de prévention définissant les mesures prises par chaque entreprise en vue de prévenir ces risques. »
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